CRIME AU GIBRALTAR
CRIME AU GIBRALTAR.
- « Y a un’ céquo qui est pas normal chez Vancoppenolle. J’étos v’nue t’cheure d’l’eau au puche et tout est incore fermé chez Blondine et chez s’file y a un carreau d’cassé. J’ai buqué al’porte et personne n’est v’nu ouvrir. J’ai r’gardé par el’carreau cassé et j’ai vu qu’le maison avot été tout’ ertournée. Y a forcémint un’céquo d’arrivé et un’céquo graffe. Y faudrot qu’te viennes vite Hinri. »
Ainsi commence, selon les témoignages, la relation du crime le plus odieux qu’a eu à connaître notre petite communauté.
LES FAITS
Le temps est froid et humide ce vendredi 8 décembe 1893, lorsque vers 8 heures du matin, Nathalie Achille, une habitante du hameau du Gibraltar à Leers, vient chercher de l’eau au puis attenant à la maison des Vancoppenolle. Dès son arrivée, elle s’étonne de ne voir aucun va et vient dans l’habitation et constate qu’à la maison voisine un carreau a été brisé. Comme personne ne répond à ses appels, elle s’inquiète et court faire part de ses craintes à Henri Bauwens, un ouvrier tisserand demeurant à proximité. L’alerte est ainsi donnée et ce que vont découvrir ces braves gens va les glacer d’effroi.
Bauwens qui entre le premier dans la cuisine exiguë, recule effrayé par le spectacle qu'il a sous les yeux. Gisant au sol, deux cadavres sont allongés déjà rigides. Il reconnait Blondine Phalempin, non sans peine, la pauvre femme a le crâne fracassé, les cheveux épars sont collés à la pierre, la cervelle s’y répand. Il reconnait ensuite le petit Edmond qui présente les mêmes blessures.
Un faible gémissement s'échappe alors de la buanderie voisine, arrachant à cet atroce spectacle les voisins venus se joindre aux premiers intervenants. L'un d'eux s'engage dans la petite pièce et aperçoit, étendue sur le sol, la fillette de cinq ans, Marie-Palmyre : l'enfant perd son sang par une horrible blessure à la nuque.
Tandis que les uns s'occupent à transporter sur un lit la fillette agonisante, les autres préviennent en hâte la gendarmerie de Wattrelos, qui arrive sur les lieux du crime en toute diligence et se met immédiatement en devoir de recueillir les premiers indices et de procéder aux interrogatoires des témoins.
LES PROTAGONISTES ET LEUR ENVIRONNEMENT
La maison Vancoppenolle se trouve au milieu des champs à cent cinquante mètres environ de la route de Leers à Néchin sur le territoire français. Charles-Louis VANCOPPENOLLE, 57 ans, ouvrier de ferme, habite là avec sa femme, Blondine Phalempin, 55 ans, et ses deux filles Marie, dix-neuf ans, et Céleste, dix-sept ans, toutes deux ouvrières de filature.
Tout à côté, une seconde maison abrite les époux Félix Tanghe- Vancoppenoolle, gendre et fille de l'ouvrier en question. Pendant toute la semaine, les époux Tanghe travaillent comme tisserands à Roubaix, s'absentant de leur maison et ne reviennent que le samedi soir pour repartir le lundi matin : ils ont deux petits enfants : Edmond, huit ans, et Marie-Palmyre, cinq ans, qu'ils confient à la garde de leurs grands-parents. Leur maison reste donc vide six jours sur sept.
LES CONSTATATIONS ET L’ENQUETE
Toute la maison Vancoippenolle a été visitée, le buffet de la cuisine a été ouvert et fouillé. La poche du tablier dont été vêtue la grand’mère, a été retournée et un porte-monnaie qui contenait la somme de quinze francs a disparu.
La maison Tanghe a également été fouillée et des effets personnels appartenant au chef de famille ont été volés : un pantalon, une veste, une casquette et une pipe.
Très vite, les soupçons se portent sur le nommé Emile Vannieuwenhove, un pauvre bougre à la mauvaise réputation qui a autrefois logé chez les époux Vancoppenolle et a même courtisé une de leurs filles. Cet individu, lorsqu’il travaillait, exerçait la profession de tueur à l’abattoir de Roubaix.
Très vite, une fille Léontine, maîtresse du sieur Vannieuwenhove, d'origine belge, habitant Leers, dénonçait son amant comme assassin. Vannieuwenhove était alors arrêté à l'abattoir de Lille, où il se trouvait en compagnie d'autres tueurs de porcs. Après avoir protesté de son innocence et même dénoncé un certain Derache de Leers, il finit par faire des aveux complets devant des charges très graves relevées à son encontre.
Cliché JF « Maxou » HEINTZEN. Source : BNF, Chansons sur les assassinats – GR FOL WZ 90.
LES AVEUX
Après avoir passé la nuit dans une briqueterie de Leers, Vannieuwenhove s’était levé à cinq heures moins un quart et avait pris chez M. Pierre Fournie une cheville en fer qui allait devenir l'instrument de son crime. Une barre de fer, longue de 40 centimètres et de 3 centimètres de diamètre avec tête ronde, qu’il avait cachée sous ses vêtements. De la ferme Fournie, il était allé directement à la maison Vancoppenolle à travers champs. Il avait frappé à la porte pour demander à se chauffer et la grand’mère était venue lui ouvrir. Après l’avoir poussée au sol, lui asséna sur la tète plusieurs coups de son arme improvisée. Les enfants réveillés par le bruit vinrent voir ce qui se passait et subirent le même sort que leur aïeule.
Sitôt ce triple crime accompli, l'assassin fouillait toute la maison et prenait, dans la poche du tablier de la femme, le porte-monnaie contenant 15 francs. Ensuite, il ouvrait la fenêtre de l'«ouvroir», par laquelle il sortait en passant à califourchon. Il allait ensuite à la maison contiguë occupée par la famille Tanghe, où il pénétrait en brisant un carreau préalablement enduit d'argile, pour ne pas faire de bruit, il fouillait tous les meubles sans exception sans rien y trouver et dérobait, décrochée d'un porte-manteau, une défroque complète qu’il devait endosser avant de s'enfuir à travers champs.
Il prenait ensuite la car pour Roubaix avant de partir pour Lille où il arrivait vers deux heures.
L’AUDIENCE.
L'accusé a déjà été condamné un grand nombre de fois en Belgique et une fois en France pour vol. Enfin, il a été expulsé de France par arrêté du 14 décembre 1892.
Le président développe l'acte d'accusation et donne des explications supplémentaires. La femme assassinée portait douze affreuses blessures, le petit garçon treize, la fille deux, les crânes étaient fracassés et il y avait une telle quantité de sang répandu dans la maison qu'une rigole faisant habituellement écouler les eaux ménagères dans la rue, en était remplie.
LE REQUISITOIRE
Le procureur général, pour le ministère public reprend alors le récit des faits et montre comment dès la première heure on soupçonna Vannieuwenhove, malfaiteur dangereux, faisant le mal pour le plaisir de le faire, poussant la férocité jusqu'à couper les quatre pattes de son chien vivant et à le jeter enfin dans le feu. Il ne lui trouve aucune circonstance atténuante et requiert contre l’accusé la peine de mort et demande à la Cour de fixer à Lille le lieu d’exécution.
LA PLAIDOIRIE
Le défenseur montre la triste et détestable éducation qu’a reçue son client dont les mauvais instincts n’ont pu que se développer, puis abordant la question de la responsabilité, il soutiendra longuement la thèse que c’est l’accident, une chute sur la tête, arrivé à Vannieuwenhove pendant son jeune âge, qui a pu déterminer des désordres cérébraux.
LE VERDICT
La plaidoirie terminée, les jurés se retirent pour délibérer et au bout de vingt minutes, rapportent un verdict affirmatif sur les vingt-cinq questions qui leur étaient posées, sauf sur les deux relatives à la question de « nuit » relevées à propos du vol.
Le président fait, par l’intermédiaire de l’interprète, demander à l’accusé s’il a quelque chose à dire sur l’application de la peine. Vannieuwenhove répond en flamand quelques mots que l’interprète traduit ainsi : « Il trouve cela exagéré ! ».
L’ARRET
La Cour, après délibéré, condamne Vannieuwenhove A LA PEINE DE MORT et ordonne que l’exécution ait lieu sur une des places publiques de Lille.
Vannieuwenhove a écouté, impassible, l’arrêt de la cour. A la sortie, la foule hue à plusieurs reprises le condamné.
LE CONDAMNE
Emile Pierre Joseph VANNIEUWENHOVE né à Saintes dans le Brabant-Walon en Belgique le 24 juin 1872. De nationalité belge. Il a subit le sort (tirage au sort pour le service national) en 1891 à Renaix. Figure imberbe, cheveux châtains clair qu’il porte à la Capoule (franges de cheveux sur le front). Yeux bleus. Habite Lille aux moments des faits et travaille aux abattoirs de Lille.
L’EXECUTION
L'arrivée de Deibler, exécuteur des hautes œuvres, à Lille le 20 avril 1894, attire une foule immense. L'exécution cause en ville une grande émotion car, depuis cinquante ans, il n'y en avait pas eu. Détail particulier, pour son dernier repas, à sept du soir, on a donné à manger au condamné de la salade de mâche. Voici pourquoi : lorsqu'il y a deux mois on a trouvé, à Rouges-Barres, un jeune garçon assassiné, l'autopsie a fait découvrir de la mâche dans son estomac. Pour établir l'heure à laquelle le crime a été commis, on veut faire une expérience sur Vannieuwenhove, affirme « Le Petit Parisien » dans son édition du 21 avril 1894.
Emile VANNIEUWENHOVE fut exécuté à Lille le samedi 21 avril 1894 à 5h du matin. Réveillé à 4h30, il semble ne pas prendre conscience de la nouvelle, soupire bruyamment pendant la messe. Au greffe, après la toilette, demande une cigarette qu'il garde aux lèvres jusqu'au bout. Embrasse les deux aumôniers (celui de Lille et celui de Douai), puis parcourt, tenu par les aides, les trois mètres qui séparent le seuil de la prison de la guillotine montée sur la place du Palais-de-Justice. Son corps fut remis à la Faculté(1).
Le cirme de Leers, complainte. Cliché JF « Maxou » HEINTZEN. Source : BNF, Chansons sur les assassinats – GR FOL WZ 90.
NB : Ce récit a été possible grâce à l’exploitation de différentes éditions de journaux de l’époque, notamment : L’Avenir de Roubaix Tourcoing et Le Grand Echo du Nord.
Les généalogies des victimes et de l'auteur des faits sont disponibles sur GENEANET aux lienx suivants :
https://gw.geneanet.org/danielbourgois_w?lang=fr&pz=daniel&nz=bourgois&p=blondine&n=vaelepyn
https://gw.geneanet.org/danielbourgois_w?lang=fr&pz=daniel&nz=bourgois&p=emile+pierre+joseph&n=vannieuwenhove
(1) Extrait de :" Crimes et incendies en France et Algérie (1891-1914). Rapports de gendarmerie et des procureurs généraux " du Centre Historique des Archives Nationales. Dossier 1289 : Assassinat de trois membres de la famille Vancoppenolle, au hameau de Gibraltar (com. de Leers, Nord), 8 décembre 1893.
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